Moyens formats divers
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La collection Roland Buraud est sous la direction et la gestion d'Etienne Buraud depuis 2009.
Textes sur ma peinture
par Roland Buraud
A propos du reniement de Saint-Pierre

Le Reniement de Saint Pierre.
Chez Rembrandt, ce qu’il y a, et qui me touche, c’est cette lumière qui monte de l’ombre, et qui ne semble venir d’aucune source. Comme produite par le sujet lui-même.
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Dans l’ensemble imposant des autoportraits qui jalonnent son expérience picturale, mais aussi dans nombre de tableaux bibliques et d’eaux-fortes, et jusqu’à La Ronde de nuit, je me souviens d’un tableau qui m’a frappé lors de ma dernière visite au Rijksmuseum, et que je n’avais pas remarqué auparavant malgré mes fréquents séjours (la rencontre d’une œuvre est fruit du hasard et de la maturité).
Le Reniement de Saint Pierre.
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C’est la scène où Saint Pierre refuse de reconnaître, après l’arrestation du Christ, qu’il l’était. Sans doute a-t-il peur... Et tout se passe hors champ... Je ne sais pas... Le Christ, de dos, silhouette sombre, premier plan, occupe un large triangle en bas à gauche du tableau, comme absorbé, confondu avec mon ombre projetée, portée. Comme si c’était moi. Je suis, moi, spectateur, le Christ.
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Je vois Pierre, je n'en perçois que quelques taches éclairant le front, le nez, une main ébauchée, à peine dite, inachevée superbement, dans un mouvement de recul tenter de s'effacer dans la peinture, alors qu'une servante éclaire d'une bougie masquée par sa main droite le manteau blanc, incandescence jaune, comme s'il reniait son propre reniement, et, par la peinture encore, tenter de se dissoudre dans une lumière verdâtre mais dorée, dans cette pénombre où rien ne peut se dire vraiment que l'effroi, par la pudeur.
Tout est là. La douleur de trahir, celle, éprouvée, de la trahison, le remord, le pardon. L'intimité de la scène, l'absence d'anecdote, l'épure de l'espace, cet étrange cadrage, et cette lumière dont on ne sait qui la porte nous ouvrent au drame qui se joue.
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Lundi 17 Avril
Je relis pour correction l’entretien au sujet de Rembrandt. Je reviens d’Amsterdam. Vu l’exposition. Vu ou revu Le Reniement. L’impression n’est plus la même. Je ne reconnais pas dans le tableau décrit plus haut celui actuellement exposé.
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En existe-t-il un autre, une esquisse peut-être ? Le Rijksmuseum étant fermé pour travaux je ne peux vérifier. Toujours est-il que ce n’est pas Le Christ qui se tient en ombre et de dos dans l’angle inférieur gauche du tableau, mais un soldat romain, de profil, assis nonchalamment sur une rambarde et semblant peu concerné par la scène.
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Si ce n’est pas dans la lumière on ne peut pas dire qu’il soit traité en silhouette, mais plutôt simplement ébauché à grands traits noirs. Le reste, assez conforme à mon souvenir, pour l’impression générale, montre pourtant le Christ au deuxième plan s’éloigner en se retournant comme pour vérifier l’exactitude de sa prédiction : « Tu me trahiras trois fois avant le chant du coq. »
Je suis un peu effondré. Suis-je un mauvais témoin ? Quel tour me joue ce bon Van Rijn ? Aurait-il fait un sortiage inépuisé conduit le spectateur au fond du tableau, vers Le Christ, serait-il, lui, le spectateur, un de ces visages fermant la composition et dont l’un d’eux évoque les propres traits de l’artiste, le forçant à retourner l’espace comme on le fait d’une chaussette ?
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Ce soldat-là aurait su servir le reflet de Pierre dans les yeux du soldat... Va savoir...
Ai-je inventé un Rembrandt de toutes pièces, et de tous rêves ?
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