Moyens formats divers
Moyens formats divers
La collection Roland Buraud est sous la direction et la gestion d'Etienne Buraud depuis 2009.
Pourquoi professeur ?
L'atelier de Roland Buraud se trouve au cœur de Paris entre Bastille et Gare de Lyon. Le paysage vu de la fenêtre pourrait être une photo de Robert Doisneau, chargé des humeurs de la vie quotidienne : le coin de la rue, la terrasse, le jeu d’ombre et de lumière sur la façade... À l'intérieur de l'atelier, la solitude interrompt la continuité du temps et de l'espace. La matière n'apparaît que sur les tableaux.
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Roland est né en 1946. On ne dévoile pas son âge pour le cataloguer dans tel ou tel courant artistique (cette méthode de classer les artistes est devenue si vulgaire, même dégoûtante), ni pour indiquer l’expérience accumulée au fil des années, mais pour présenter la sagesse, l’humour, la tolérance et l’humilité gravés par le temps sur un artiste qui ne cesse jamais de penser. Il est professeur d’art au collège. Ses activités sociales sont extrêmement simples.
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Pourquoi professeur ? Parce qu'il n'est pas facile de gagner sa vie pour un artiste professionnel, en particulier pour celui qui ne sait ou ne veut fréquenter les galeries et les médias. Aujourd'hui, le mot "professionnel" devient un peu subtil. Il signifie plutôt être capable d’entrer dans un réseau de relations, écouler sa marchandise, que posséder un talent, un entendement supérieur respecté par ses pairs. À la vue du premier critère, Roland n’est pas très professionnel. Il a même connu un passage à vide de dix ans qui a commencé avec son divorce. Il quitta sa maison et sauta dans sa voiture avec une valise, direction Paris où une amie l’accueillit. Mais il avait perdu son atelier autant que la volonté de reprendre les pinceaux.
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Comment continuer à peindre le corps humain qui le fascine toujours ? Plus qu’un problème technique, une question fondamentale se pose : pourquoi continuer à peindre ? Quelle possibilité pourrait-on atteindre en persistant ? Dans les années 80, la France succombe à l’art conceptuel, l’installation, la performance, la vidéo... La peinture de chevalet se trouve "ringardisée". Pendant ces dix ans, il a un peu touché à la photographie ; cependant, dès lors qu’il fut en possession d’un nouvel atelier, il hésita guère à reprendre le chevalet. Plus qu’un simple retour, c’était un retour aux origines, avec le dessin de modèle vivant. Il avait à cette époque une amie danseuse et chorégraphe ; il dessina dans son cours quasi quotidiennement. Je réalise alors que son habileté plastique est le fruit de ces exercices et non de son entraînement académique. On devine que Roland était étudiant lors des événements de 1968.
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En ce temps, les idées révolutionnaires se bousculent dans les têtes : la déconstruction de la connaissance et du pouvoir, l’ironie sur l’utilitarisme, la psychanalyse sur la structure mentale de l’homme... Évidemment, les écoles des Beaux-Arts étaient à l’avant-garde. On y parlait peut-être de tout sauf de peinture.
Il a délaissé ses pinceaux pendant dix ans, mais ce silence semble plus fort et plus touchant qu’une productivité acharnée. Il fit modestement un grand détour, nécessaire pour retrouver son point de départ. Comme un baptême long et mystique, il s’intègre finalement dans la lignée spirituelle la plus dynamique de la peinture occidentale à laquelle appartiennent Rembrandt, Goya, Van Gogh et Francis Bacon.
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On n’est artiste qu’à ce prix, à savoir que ce que tous les non-artistes nomment la forme, on l’éprouve en tant que contenu, en tant que la chose même. De ce fait, sans doute, on appartient à un monde à l’envers : car désormais tout contenu apparaît comme purement formel – y compris notre vie. Écrivait Nietzsche. Roland est justement de ce monde : l’art n’est pas sa profession, mais son existence.
