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Regards de collectionneurs

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Jean d'Yvoire, philosophe

On croirait voir parfois le crayonnage rageur ou exalté d’un enfant.

Dès l’instant où j’ai eu entre les mains le petit classeur où se trouvaient disposés ces quatorze dessins de Roland Buraud, j’en ai été saisi. Chacun d’eux arrête le regard, l’imprégnant de ses mouvements, le faisant résonner des scansions du corps qu’il s’attache à contenir ou exprimer. Et, de l’un à l’autre, le regard passe et revient, faisant de chacun un tout et de tous une série, où s’entrevoit le mouvement qui leur a donné vie.

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Je vois l’œil de Roland Buraud, je le vois s’animer, s’élancer – il explore, il attend, mais l’attente est brève, il saisit la vibration de quelques mouvements soudain éperdus, soudain piégés ; cet œil alors se retourne, s’intériorise jusqu’à perdre la vue, il s’accouple au souffle, le retient, le relâche, s’y fond, s’intensifie et, au plus bas dans l’abdomen, se métamorphose, il se tend aveuglément jusqu’à remonter vers l’épaule, passer dans le bras, agir par le poignet, saisir la main, il dépossède d’un coup fugitif la mine du crayon – et fait surgir au visible les intensités débordantes ou rétractées dans l’instant d’un corps dépossédé de lui-même. Il y a là quelque chose d’une force, d’un désir, d’une énergie, d’une puissance, qui, loin de la conceptualisation que ces termes ont subi dans notre langue, évoquerait peut-être ce qu’à l’Orient de notre Terre, une civilisation étrangère, avec laquelle Roland Buraud s’était découvert quelque parenté, l’on appelle « chi ».

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Cette force, ce flux, ce « chi », vibre et danse dans la pulsion des gestes parfaitement projetée, parfaitement contenue du peintre. Les traits se tendent, tantôt dans l’infime évanescence du geste, tantôt sous la forte pression du bras au contact du papier. Ils saisissent ainsi des corps vivants – corps de femme, corps en chute, corps entremêlés – corps ouverts à la passion, contenus aux bords de la folie, dévorés par la vie.

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On croirait voir parfois le crayonnage rageur ou exalté d’un enfant, mais d’un enfant connaissant tout de la calligraphie des corps et de l’éros. L’enfant, oui, n’est pas loin, il est là également lorsque le trait, sans excès ni prévention cette fois, trace le double cercle d’un sein généreux. Il est là dans l’ironique regard d’un tiers amusé ou déguisé que certains dessins font figurer sur leur été. Il est là, hanté par l’histoire de la peinture et les figures quasi archétypales qu’elle a forgées : déploration, descente de croix, élévation.

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Ces extrêmes ou infimes variations d’intensité du trait, exactement mais comme aveuglément maîtrisées, donnent à ces dessins une profondeur qui n’est en rien celle de la perspective, mais qui est celle des corps et de la danse, de la chair et du désir, quand ils ont touché aux bords les plus aveugles de l’existence.

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C’est dans un porte-document au format intermédiaire peu habituel, mais maniable, que je conserve ces dessins de Roland Buraud. Ces dessins que j’ai là, je les ai non au sens d’une propriété, mais au sens d’une possession, d’une possession exigeante et exaltante, qui, à l’envers de mon quotidien, a noué ma fascination pour ce peintre que je n’ai pas connu et qui s’est donné tout entier dans son art.

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Jean d’Yvoire

Jean.tif
Jean-2.tif

©2025 par Etienne Buraud

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